mercredi 22 décembre 2010

La vache!

L'autre jour, j'ai eu le droit à une petite incursion dans l'univers délicieusement kafkaïen de l'entreprise japonaise.

C'est assez compliqué d'expliquer comment j'ai atterri là, mais pour faire simple disons que je me suis trouvé un petit boulot de très très courte durée. Il s'agissait de faire un enregistrement en français pour le spot publicitaire d'une entreprise souhaitant exporter son produit vers la France. ( seulement la voix hein, n'allez pas m'imaginer en train de porter l'un de ces costumes ridicules que l'on voit en permanence à la télé japonaise).

Le produit en question, c'est un purificateur d'eau destiné aux vaches, et leur permettant de faire un lait de meilleur qualité. Le texte à lire devant le micro expliquait donc comment le purificateur enrichissait l'eau de plein de minéraux comme le calcium ou le magnésium et aidait ainsi les vaches à résister aux bactéries coliformes et autres parasites peu désirables... ( si ça se trouve, ma voix va être diffusée dans toutes les fermes de Picardie, dingue!!). Voilà pour le décor déjà peu banal.

J'arrive donc dans la salle d'enregistrement et me prépare à parler passionnément des vaches, mais il y a un tout petit problème. La traduction française du texte contient quelques fautes, pas hyper nombreuses mais quand même assez gênantes : "vache" qui devient par endroits un mot masculin, ainsi que quelques anglicismes pouvant prêter à confusion. ( par exemple le verbe "offrir" utilisé au sens anglais de "proposer", pas super quand on cherche à vendre un produit.)

Par conscience professionnelle (si si, même pour un boulot éphémère), je signale ces quelques fautes et demande la permission de les corriger lors de la lecture du texte. Je pensais aider, mais ça y est, je venais de perturber toute la belle organisation. Il faut en référer au client pour savoir si je peux obtenir le feu vert pour corriger. Donc en attendant de pouvoir joindre le client, on me demande d'enregistrer une première version, dans laquelle je dois lire le texte tel quel, avec toutes ses erreurs. C'est stupide mais c'est comme ça. Au Japon, avant de prendre une initiative quelconque il semble qu'il faille d'abord agir scrupuleusement selon les règles imparties. Après si il y a possiblité de faire un changement quelconque on le fait, mais pas sans avoir obtenu l'accord de la hiérarchie. C'est pas trop gênant à ma petite échelle, où il suffit juste de relire un texte de 2 minutes à peine. Mais s'il faut toujours tout faire d'abord selon les indications du boss, avant de tout refaire pour apporter les modifications nécessaires... je n'ose pas imaginer le gaspillage de temps et d'énergie sur des travaux de plus grande envergure.

Le client donne enfin son accord pour faire les corrections. Je fais donc les changements nécessaires sur le texte et on enregistre une deuxième version. Un nouveau problème se pose alors. Dans le nom du produit, il y a le mot "kenkô", qui signifie "la santé" ( ben oui, ça sert à rendre les vaches en meilleure santé). Le "ô" de "kenkô" indique qu'il s'agit d'un "o" long. Sauf que comme il n y a pas de distinction entre voyelles courtes et voyelles longues en français, j'ai prononcé "kenko" au lieu de "kenkô". Je trouvais que ça s'insérait mieux dans le rythme de la phrase française de cette manière.

La personne en charge de l'enregistrement ne comprenait pas le français, mais elle avait bien remarqué que je ne prononçais pas le mot "kenko" à la japonaise. Je lui ai donc expliqué pourquoi j'avais trouvé préférable de franciser la prononciation, mais cet élément que je considérais comme un détail s'est alors transformé en un problème majeur :
-Oui, j'ai bien compris, mais c'est vraiment trop important. Il faut demander au patron.

Quinze minutes plus tard, le patron arrive donc dans la salle d'enregistrement pour tenter de trouver une réponse à la question existentielle : faut-il prononcer le ô long ou court?

On fait plusieurs essais avec différentes phrases extraites du texte où apparait le nom du produit. La décision tombe finalement : va pour la prononciation à la japonaise. Du coup ça s'intègre moins bien dans le texte en français, mais ça confère un esprit plus samurai à l'eau des vaches.

A lire l'article, on dirait que j'ai passé ma journée dans la salle d'enregistrement, mais en fait tout était bouclé en moins d'une heure. Encore heureux que les Japonais soient bien organisés, parce que sinon ils ne s'en sortiraient jamais. Enfin organisé et protocolaire, sans doute que les deux doivent aller un peu de paire...

Au final, pour 7000 yen j'ai juste eu à corriger cinq fautes et à lire quelques phrases. En bonus, j'ai même eu un aperçu de comment les choses se décidaient dans l'entreprise japonaise, et les bases d'une gloire future dans toute la Picardie. Sûrement le petit boulot le plus rentable jusqu'à présent.

3 commentaires:

  1. Tu n'as pas eu ta cassette en sortant ?! Après Kamini on aura Lucas ! ! ! !

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  2. je ne suis pas étonné de la réaction des publicitaires, ils ont un cahier des charges et doivent le respecter. tu aurais du demander plus pour amélioration des parts de marché grace à la considération de la langue française.
    bon sinon j'avoue que c'est pas mal payé pour une heure de boulot.

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  3. Ouais 7000 Yen, ça fait 53£ au cours actuel. Pas mal dis donc! Par contre, vraiment fascinant de voir comment les japonais travaillent. C'est un autre monde. Essayes de faire ça en Europe, ça te prendra au moins une semaine! Comme tu dis, "organisé et protocolaire" se traduira sans doute par désorganisé et faire preuve d'initiative dans nos pays.

    Enfin bref, sinon je tiens à te souhaiter d'exellentes fêtes de fin d'année mon cousin et j'essayerai de suivre un peu plus ton blog d'aurénavant. Bises.

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