mardi 18 janvier 2011

Prépa ouverture de pays.

Il est temps pour moi de vous parler d'une activité qui commence à m'occuper de plus en plus ces derniers temps. Depuis maintenant un peu plus d'un mois, je fais partie d'une association dont le créateur est un ami japonais qui étudiait à Paris l'année dernière.

Dans le cadre de cette association, nous comptons organiser une fois par mois un évènement du nom de "Kaikoku-juku". Jeudi dernier a eu lieu sur le campus de Hongô la deuxième édition de "Kaikoku-juku"

Mais d'abord pour commencer, "Kaikoku-juku", ça veut dire quoi?

"Kaikoku", c'est littéralement "l'ouverture du pays", le mot est composé de deux idéogrammes :

開 KAI : ouvrir
国    KOKU : pays

Dans l'histoire japonaise, le terme de "kaikoku" fait référence à un évènement bien particulier. En 1853, le commodore américain Perry se pointe le long des côtes japonaises avec ses intimidants bateaux noirs ( comme les ont alors appelé les Japonais) et requiert l'ouverture du Japon au commerce avec les Etats-Unis. Bien vite imités par les autres nations occidentales, les Etats-Unis mettent ainsi fin à une politique d'isolement du Japon qui aura duré près de 300 ans.

Le commodore Perry.

Les fameux bateaux noirs ( kurofune), débarqués un beau jour...

On remonte encore un peu plus dans le temps : Les premiers contacts du Japon avec l'Occident datent de la fin du 16ème siècle, avec l'arrivée des premiers missionnaires portugais sur l'archipel. Le Japon était alors très divisé politiquement et les missionnaires ont initialement été bien accueilli par certains seigneurs locaux. Mais à cause de cette indésirable religion chrétienne qu'ils prétendaient répandre dans tout le Japon, les Portugais ont rapidement été perçus comme une menace par le pouvoir central.

Le shogun Tokugawa, parvenu à réunifier le Japon sous sa coupe en 1613, instaure un nouveau régime dont les composantes principales sont l'isolement et un ordre social strict, très similaire au système des castes indiennes. Tout en haut de l'échelle se trouvent les guerriers samuraïs, et tout en bas les marchands (si mes souvenirs sont bons). Le destin de chaque individu est tracé dès la naissance en fonction de son rang dans cette échelle sociale, et il n'est en principe pas d'usage de quitter sa terre natale.

Dans cette société très codifiée, les étrangers n'ont bien sûr pas leur place. La religion chrétienne est interdite par les Tokugawa, et toute entrée sur le sol japonais par un étranger est punie de mort. Une seule exception cependant, celle des Hollandais, qui ont réussi à s'attirer les faveurs des shoguns Tokugawa et parviennent à bénéficier de certains avantages commerciaux avec le Japon durant toute cette période de fermeture du pays aux étrangers. Ils n'ont cependant pas le droit de circuler librement sur le sol japonais. Le seul endroit où ils sont tolérés est une minuscule île artificielle du nom de Dejima, située dans la baie de Nagasaki.

Voilà ce à quoi ça ressemblait le Japon, jusqu'à son ouverture forcée par les Américains en 1853.
Par opposition à "Kaikoku", on appelle cetté période de fermeture prolongée l'histoire "Sakoku":

鎖 SA : fermer ( littéralement : la chaîne)
国  KOKU : le pays

Maintenant le terme de "juku" de "kaikoku-juku".

Comme vous pouvez le deviner par le titre de l'article, la traduction française la plus proche serait "prépa", même si le fonctionnement de nos "prépa" et des "juku" japonais n'a stritctement rien à voir ( je développe pas trop, z'avez qu'à le googler) .
Si on résume, les juku sont des endroits où les lycéens japonais se rendent pour suivre des cours du soir leur permettant de se préparer aux examens d'entrée des meilleures universités.

Bien sûr il ne s'agit pas de se préparer à un quelconque examen. C'est juste que coller le terme de "juku"  donne donc un aspect un peu studieux; ca veut dire qu'on est aussi là pour se creuser un peu la tête. Ca implique qu'il faut réfléchir à ce que signifie l'ouverture du pays, et non pas s'en contenter en la considérant comme quelque chose d'acquis. Car comme vous avez pu le voir par ce bref aperçu de l'histoire japonaise, l'ouverture du pays a jusqu'à présent davantage été quelque chose d'imposé par l'étranger, plutôt que quelque chose de véritablement souhaité par les Japonais eux-mêmes.

Autant en 1853 avec l'arrivée des "bateaux noirs" qu'après la défaite de 1945, les Japonais se sont contentés de suivre scrupuleusement les instructions de "Amerika-san" ( monsieur Etats-Unis ), se consacrant de toutes leurs forces au développement économique. Le commerce avec l'étranger s'est ainsi accru, jusqu'à faire du Japon l'une des plus grandes puissances mondiales. Par l'ouverture, les Japonais ont donc acquis le bien-être matériel, mais dans les mentalités leur pays est resté profondément fermé.

C'est la langue japonaise qui symbolise le plus cette relative fermeture des mentalités, en comparaison à l'ouverture économique. Beaucoup de Japonais considèrent encore que l'usage de leur langue est strictement résevé aux Japonais, et ne conçoivent pas que des étrangers (en particulier Occidentaux) puissent s'exprimer dans cette langue.
En France, on considère normal que la langue d'usage sur le territoire soit pour tout le monde le français. Les Japonais interprètent parfois ça comme de l'arrogance. Si l'on croit ce que disent les Japonais, il parait que les Français ne veulent pas parler anglais car ils méprisent cette langue, trouvant que le français vaut beaucoup mieux. Il y a sans doute un peu d'arrogance là-dedans, mais je trouve que c'est avant tout un des signes les plus révélateurs d'ouverture : même avec tous nos problèmes d'intégration, au moins en France on a le mérite de considérer que n'importe qui, quelque soit son apparence, est potentiellement capable de s'exprimer dans la langue du pays.

Au Japon, les choses sont très différentes. Face à un étranger, la plupart des Japonais auront dans leur cerveau cette réaction : étranger = anglais.
Il est donc sans doute plus facile de se débrouiller dans ce pays sans en connaître la langue, car personne n'attendra de vous que vous puissiez dire un mot de japonais. De même que dans de nombreuses occasions où des étrangers sont conviés, tout est prévu pour vous recevoir parfaitement en anglais.

Mais pour le peu que vous sachiez parler japonais, cette séparation "Japonais = japonais", "étrangers= anglais" peut aboutir à des situations stupides est complètement inimaginables en France.
Le Japon est sans doute l'un des seuls pays au monde où le fait de connaître la langue peut parfois représenter un inconvénient bien plus qu'un avantage. Si vous êtes conviés quelque part en tant qu'étranger, vous pouvez être quasiment sûr que tous vos interlocuteurs s'adresseront à vous en anglais. Mais si vous essayez de leur parler en japonais, vous allez les court-circuiter et ils seront gênés, ils ne sauront plus quoi vous répondre. Vous pourrez alors lire très clairement sur leurs visages quelque chose qui veut dire ça : "Merde, un étranger qui parle japonais.... C'était pas dans le protocole...qu'est-ce que je vais faire maintenant...."

Je me suis encore attardé sur des tas de considérations, tout ça pour vous dire que dans le cadre de notre "Kaikoku-juku" nous avons eu cette idée apparamment toute conne et pourtant si novatrice : Japonais ou étranger, tout le monde parle japonais. Un évènement où l'on est convié en tant qu'étranger mais où l'on se retrouve directement à parler japonais, j'ai beau chercher, je crois qu'au Japon ça n'existait pas encore.

Bon allez, j'ai déjà trop parlé, je vous raconterai les détails une prochaine fois.

3 commentaires:

  1. Avant de te lire, je me reprochais de ne savoir aligner trois mots d'anglais sans sortir un dico ou me torturer les méninges. Maintenant j'ai une excuse: "Eh les rosbeefs, vous allez me causer français comme tout le monde, je ne me suis pas abaissé à apprendre votre langue pourrie."
    Merci Lucas!

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  2. Ok donc lors de notre séjour en mars je vais dire :
    "Salut T chiot biloute"
    au lieu de
    "Konnichi wa ohayô"

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  3. L'avantage dans tout ça c'est que si un jour je vais au Japon, ils ne seront pas surpris, ouf tu me rassures.

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